Ukraine : la porte de sortie s’éloigne

Le 24 février 2022, jour fatidique de l’invasion russe de l’Ukraine, je publiais ici un billet recensant les quatre options qui se présentaient aux États-Unis face à la guerre naissante. Cela se résumait ainsi : les Américains pouvaient imposer des sanctions contre la Russie ; soutenir une insurrection ukrainienne pour saigner les envahisseurs russes ; militariser l’Ukraine jusqu’à inclure l’envoi de troupes américaines sur le terrain ; ou alors acquiescer aux demandes du président russe, Vladimir Poutine, particulièrement en ce qui a trait à ses demandes répétées de renoncer à l’expansion de l’OTAN vers l’est.

Un an plus tard, les choix faits par les États-Unis — et appuyés par leurs partenaires occidentaux, comme le Canada et l’Europe — sont à la fois clairs et nuancés. À répétition, le président Joe Biden a insisté sur sa volonté d’éviter une troisième guerre mondiale en écartant des affrontements armés directs entre Américains et Russes. Son administration s’est également empressée de calmer les esprits lorsque, par exemple, un missile est venu faire deux morts du côté polonais de la frontière avec l’Ukraine, en novembre dernier.

En même temps, les États-Unis ont pris une posture aussi rigide qu’impitoyable : un financement important, toujours croissant, en faveur de l’effort de guerre ukrainien ; un appui indéfectible à un éventail, lui aussi constamment croissant, de sanctions contre la Russie ; et un refus catégorique de négocier une sortie de crise.

En fait, un an plus tard, cette sortie paraît encore plus lointaine — et les options considérées à Washington semblent encore plus inquiétantes.

La terrible escalade

Une des propensions de l’être humain est de répéter les mêmes erreurs… avec les mêmes résultats désastreux. Combien de guerres ont été lancées, puis poursuivies, sur la prémisse qu’elles seraient « rapides » ?

Vladimir Poutine croyait visiblement, au départ, que l’invasion lui permettrait de décapiter en un court laps de temps le gouvernement à Kyiv, d’installer un gouvernement fantoche et de mettre fin à l’ « occidentalisation » de l’Ukraine.

Douze mois plus tard, Volodymyr Zelensky continue à mener une résistance ukrainienne déterminée — et Poutine a perdu davantage de troupes que tout dirigeant russe depuis Staline…

En même temps, la pensée magique n’est pas l’apanage du Kremlin. Combien de voix en Occident ont naïvement prédit que les sanctions pousseraient au recul, voire au renversement de Poutine ? Combien de ces observateurs — analystes militaires et géopolitiques, élus, journalistes — ont dit s’attendre, le printemps dernier, à ce que Poutine utilise les célébrations nationales du 9 mai à Moscou pour annoncer son retrait de l’Ukraine ? Deux semaines après le début de l’invasion, dans un article largement médiatisé, le politologue Francis Fukuyama a déclaré que l’on devrait se « préparer » à une défaite russe subite.

Douze mois plus tard, Poutine est toujours en selle au Kremlin… et ses forces sont loin de quitter l’Ukraine.

Au fil du conflit, on a périodiquement dit craindre une « escalade » avec Moscou. Or, l’escalade a lieu en temps réel et de façon graduelle devant nos yeux depuis le commencement de la guerre.

Il y a, bien sûr, les armes de plus en plus lourdes fournies — à la suite des pressions américaines et ukrainiennes — par des pays qui étaient a priori très récalcitrants à aller en ce sens, notamment l’Allemagne.

Et il y a les coûts effroyables de la guerre sur le terrain, qui ne cessent de grimper même s’ils demeurent impossibles à calculer. Environ le tiers de la population ukrainienne a été chassée de chez elle, dont un cinquième s’est réfugiée dans d’autres pays du monde ; l’économie de l’Ukraine et ses infrastructures sont détruites ; et le bilan des morts est estimé, de part et d’autre, dans les centaines de milliers.

« Si la Russie cesse de se battre, le conflit est fini ; si l’Ukraine cesse de se battre, l’Ukraine est finie », martèle le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken. Un mot d’ordre répété sans cesse à Washington depuis un an et repris un peu partout en Occident.

Cela est certainement vrai d’une perspective américaine… mais démontre une profonde incompréhension du point de vue russe.

Cette guerre n’en est pas une de « conquête » aux yeux de Poutine ; elle est défensive, enracinée dans une peur viscérale qu’il exprime depuis plus de 15 ans de voir le géant américain utiliser des pays comme l’Ukraine pour déstabiliser, voire renverser des régimes tels que le sien. Pour Poutine, cesser de se battre maintenant, ce ne serait pas mettre fin au conflit, mais plutôt se montrer faible de façon inacceptable face aux États-Unis. Vu de Moscou, le conflit entre la Russie et l’Occident existait bien avant le 24 février 2022, et il se poursuivra bien après que le dernier soldat russe eut quitté l’Ukraine.

On parle déjà ouvertement d’offensive russe ce printemps et de contre-offensive ukrainienne à l’été, l’une se voulant toujours plus grosse que la précédente. La dynamique perdure : le conflit est perçu comme existentiel par les deux parties — et les deux font assez de gains, ou tout au moins de « surplace », pour continuer leur belligérance. Difficile dans ce contexte de voir une sortie militaire du conflit à court terme.

L’inacceptable négociation

Reste donc, hormis une solution deus ex machina, une avenue principale : une fin négociée. Or, pour y parvenir, il faut bien que les parties se parlent ! Et ce n’est visiblement pas le cas.

Du côté américain, aucun réel appétit pour la négociation n’est exprimé. Cela se comprend : accorder des concessions à Poutine serait vu comme une récompense pour l’invasion d’un pays souverain — et, par le fait même, encouragerait implicitement d’autres actes de la sorte, que ce soit de la part de Poutine ou d’autres dictateurs.

Si cette logique s’appliquait déjà en février 2022, c’est encore plus le cas maintenant, compte tenu de la nature et de l’ampleur des atrocités commises par les Russes au cours des 12 derniers mois.

Cependant, refuser toute négociation sérieuse comme le fait toujours Washington assure de facto qu’encore plus d’atrocités seront commises à court sinon moyen terme, dont les premières victimes continueront à être les Ukrainiens eux-mêmes.

***

La parole la plus sage au sujet de ce conflit, brillante dans sa simplicité et son intemporalité, est peut-être celle du président français, Emmanuel Macron, prononcée en avril 2022, deux mois seulement après les premières salves de missiles sur Kyiv : « Quand on entre dans le cycle de la violence, le plus dur, c’est d’arrêter. »

La meilleure option demeure celle qui n’a pas été suivie avant le 24 février 2022 : tout faire pour éviter l’éclatement de cette guerre en premier lieu.

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