Quand le cœur part en vrille !

Notre collaborateur le Dr Alain Vadeboncœur, urgentologue et professeur titulaire à l’Université de Montréal, est conseiller médical pour l’équipe de STAT. Il s’inspire ici des intrigues de la série télévisée pour donner des renseignements plus approfondis sur certaines des maladies diagnostiquées à l’écran. 

Le personnage de Delphine commence bien mal sa journée dans l’épisode de STAT diffusé le jeudi 8 décembre : en tentant d’apaiser une patiente qui a attendu toute la nuit, elle perd subitement conscience et tombe sur le sol comme une guenille.

Le terme « subitement » est important ici : même si les pertes de conscience sont attribuables à différentes causes, que j’ai d’ailleurs révisées voilà quelques mois, lorsque l’on perd conscience brutalement, le cœur est souvent mis en cause.

Plutôt que d’une baisse de pression (bénigne) d’abord soupçonnée, l’urgentologue (Emmanuelle) découvre que Delphine souffre de palpitations, un signe d’arythmie. Un ECG, ce test qui montre l’activité électrique du cœur, est donc demandé, comme il se doit.

Après avoir lu cet ECG, le médecin annonce le diagnostic : un syndrome du QT long. Lors de sa perte de conscience, il y a fort à parier que le cœur de Delphine est parti en vrille — ou plus exactement en « torsade de pointes », une arythmie fréquemment retrouvée quand le QT est plus long que normal.

La torsade de pointes

Pendant cette arythmie, l’électricité se met à tourner rapidement dans le cœur, entraînant son accélération brutale. Il n’a donc plus le temps de se remplir pour éjecter le sang. Cela cause un arrêt immédiat de l’oxygénation du cerveau et une syncope subséquente.

On peut voir sur les deux vidéos suivantes la différence évidente entre un rythme normal et un rythme rapide et un peu désorganisé de « torsade de pointes », qui provoque ces contractions trop rapides et inefficaces du cœur.

Au moment de l’évaluation puis de l’ECG, tout était revenu à la normale pour Delphine. Sauf que l’ECG avait donné la clef de l’arythmie, parce qu’il contient cette anomalie facilement identifiable, ce « QT long » que je vais maintenant vous décrire.

Le PQRST

Révisons d’abord comment se déroule la séquence normale d’activation électrique et de retour à l’état de repos du cœur. Il est facile de se souvenir de l’enchaînement des ondes, parce qu’elle est appelée PQRST, depuis leur découverte par le médecin Einthoven en 1892 — je sais, ça fait longtemps ! Pas besoin d’être perspicace pour noter le « Q » et le « T » dans la formule. On approche !

Pour vous situer, je rappelle que le cœur est formé de quatre cavités, deux oreillettes et deux ventricules, qui sont activées dans une séquence oreillettes-ventricules par le système électrique du cœur. L’onde P correspond à la contraction des oreillettes et le « QRS » à celle des ventricules. Quant à l’onde T, elle correspond au retour en phase de repos des ventricules.

Le QT est donc tout simplement le délai entre le début du « QRS » et la fin de l’onde T, dont le maximum normal lorsque le cœur bat à 60 à la minute est de 460 ms environ. Dans l’exemple sur l’image, la valeur « brute » du QT est de 380 ms, ce qu’on doit « corriger » en raison d’une fréquence cardiaque à 80 à la minute. Le résultat final « QTc » vaut ici 439, une valeur normale.

Un « QT long » implique donc un délai allongé entre le début de ce QRS et la fin de l’onde T. Ce qui est un problème, comme je vais vous l’expliquer avec des feux de circulation, pourquoi pas.

Jusqu’au milieu de l’onde T, les ventricules sont en période dite « réfractaire absolue » ou « feu rouge » : si un autre courant arrive à ce moment, il ne passe pas, comme vous l’aviez deviné. Appelons cette phase : « feu rouge ».

Au contraire, après la fin de l’onde T, durant la phase de repos, le feu est au « vert » et une nouvelle stimulation électrique entraînera une nouvelle contraction.

Entre le feu rouge et le vert, comme il se doit, on retrouve un feu jaune, du milieu de l’onde T à sa fin. Comme sur la route, si un autre courant électrique arrive à ce moment, il passe ou il bloque, ce qui est plus difficile à prévoir.

À gauche : Un P-QRS-T normal, tel que vu ci-dessus. Les trois phases électriques sont illustrées. Feu vert : zone excitable. En rouge : zone où il est impossible d’engendrer un nouveau QRS si un courant survient. En jaune : zone relative, où une excitation engendre parfois un nouveau QRS, parfois pas. À droite : Le QT est allongé (l’onde T se prolonge et est aplatie). La zone rouge s’allonge mais la zone jaune aussi, ce qui augmente la probabilité d’une nouvelle stimulation précoce dans cette dernière zone. Schéma de l’auteur.

Or, cette phase correspondant à un feu jaune est étirée en cas de QT long. Vous le savez autant que moi, c’est quand les feux jaunes s’étirent que les problèmes arrivent sur les carrefours.

En cas de QT long

Les cœurs affectés par un syndrome du QT long présentent deux phénomènes qui contribuent aux arythmies.

D’abord, certains secteurs des ventricules sont plus irritables que normalement et envoient donc des signaux électriques spontanés. C’est d’ailleurs souvent ainsi que débute une torsade de pointes, par un chatouillement électrique dans un coin du ventricule.

Un autre phénomène, plus complexe, survient aussi : la réentrée. Il faut comprendre qu’en cas de QT long, les propriétés électriques du cœur varient plus que normalement d’une zone à l’autre. Alors que certaines sont encore en « rouge », d’autres sont déjà en « jaune » ou « vert ». Comme ce n’est pas homogène, appelons cela un « rond-point à risque ».

Si une salve arrive dans un tel carrefour, l’électricité circule de manière un peu désorganisée, comme sur un gros rond-point en plein trafic. La stimulation peut alors bloquer dans un secteur jaune, mais choisit de passer par le secteur vert juste à côté.

Après avoir traversé le vert, cette stimulation retourne dans le carrefour giratoire vers la zone qui était au jaune, et justement, elle a eu le temps de revenir au vert.

À gauche : En cas de QT long, certaines zones des ventricules (deux larges cavités en bas) sont plus excitables (étoiles rouges) et envoient des impulsions fréquentes. Ces impulsions se propagent dans un muscle où les zones rouges, jaunes et vertes ne sont pas homogènes, de sorte que le courant passe (vert) ou non (rouge). Au centre : Le courant a passé dans le vert, contourne la zone rouge, et se dirige vers le jaune. À droite : La zone jaune devient verte, de sorte que le courant peut la traverser. La rotation débute.

Si les feux sont synchronisés, l’électricité se met alors à tourner sur elle-même en passant d’une zone à l’autre, très rapidement, créant l’arythmie. Les chars sont pognés dans le rond-point, finalement.

Juste pour compliquer les choses, ces ronds-points à risque ne sont pas fixes en cas de QT long, ils se déplacent eux-mêmes d’un endroit à l’autre, de sorte que le cercle devient une sorte de vrille… ou ce qu’on appelle cette fameuse torsade de pointes !

À gauche : La rotation se poursuit, puisque la zone rouge est redevenue verte à nouveau. Au centre : Nouvelle rotation, l’électricité suit le cycle de changement de « couleur » des zones du cœur. À droite : Comme cette zone électrique instable se déplace elle-même, le tracé électrique varie de seconde en seconde sur l’ECG, comme on le voit dans la seconde vidéo. Le résultat est une « torsade de pointes », qui cesse spontanément ou plus rarement dégénère en fibrillation ventriculaire, totalement chaotique.

Habituellement, cette arythmie est de courte durée et la personne reprend conscience, comme dans l’émission, dès que le rythme se normalise.

Plus rarement, l’arythmie est soutenue et dégénère en une arythmie encore plus grave : la fibrillation ventriculaire, qui elle doit absolument recevoir un choc pour revenir à un rythme normal. Imaginez un rond-point envahi par un troupeau de moutons qui courent dans tous les sens. Une injection de magnésium, qui raccourcit le QT, peut également aider.

Le QT long génétique

Deux causes générales peuvent expliquer un QT long. Chez les plus jeunes, on trouve des anomalies génétiques, identifiables par examen du génome, un test que la personne devra d’ailleurs subir, de même que toute sa famille, si le diagnostic est soupçonné sur l’ECG. Plusieurs anomalies génétiques distinctes aboutissent à de telles conséquences.

Pour ces cas, il n’existe malheureusement aucun traitement curatif. On prescrit généralement à ces personnes des bêtabloqueurs, médicaments qui ralentissent le cœur et diminuent les risques d’arythmie grave. En cas d’échec, un défibrillateur interne est alors implanté, son rôle étant d’administrer un choc si une arythmie survient malgré les médicaments — ce qui sauve alors la vie !

La personne qui souffre d’un tel QT long génétique doit aussi éviter de se mettre en situations de risque, qui varient selon l’anomalie génétique : froid intense, fièvre, émotions fortes, bruits stridents, tout cela peut constituer des déclencheurs d’arythmies.

Elle doit en informer son pharmacien, parce que beaucoup de médicaments prolongent le QT, ce qui doit absolument être évité. Des prises de sang périodiques sont également requises pour vérifier les ions sanguins selon le cas.

Le QT lié à d’autres causes

Pour ce qui est des problèmes de QT long qu’on peut généralement corriger, ce sont les plus fréquents. Les causes en sont multiples : baisse de potassium, de magnésium ou de calcium dans le sang, par exemple, hypothermie, malnutrition, et plusieurs maladies chroniques du cœur — et même un AVC !  

Et surtout, une foule de médicaments lorsqu’ils sont combinés, notamment plusieurs antibiotiques souvent prescrits et des médicaments psychiatriques, répertoriés dans des sites comme celui-ci.

Ces syndromes « acquis » touchent plutôt les personnes plus âgées, notamment en raison des nombreux médicaments qu’elles doivent prendre à long terme. Les conséquences sont à peu près les mêmes, menant au pire des épisodes de torsade de pointes.

Si le QTc est supérieur à 500, il faut préventivement éliminer certains médicaments et corriger les facteurs précipitants.

Dans le cas de Delphine, une jeune femme, il s’agit vraisemblablement d’un QT long génétique.

On comprend sa réaction de tristesse, puisqu’un tel diagnostic a des implications majeures sur la personne et ses proches, en raison des risques de trouver d’autres cas dans l’entourage génétique… notamment pour les enfants qu’elle souhaite avoir.

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